Être parent d’un enfant TSA

À la lecture de ce titre, et encore plus si vous êtes vous-même parent d’un enfant TSA(1), vous devez certainement vous dire : « qu’est-ce qu’une psychomot’ va m’apprendre sur le sujet, qu’est-ce qu’elle en sait celle-là… »
Et bien… mon diplôme ne m’a pas immunisée, comme beaucoup tendent à le croire… Mon Sacro-Saint DIPLÔME n’a pas eu l’effet d’une baguette magique au-dessus de son berceau…
Il est né.
C’était il y a 12 ans maintenant.

Des mois pour réussir à tomber enceinte de sa sœur ainée…
Et d’autres longs mois, allongée, pour qu’elle puisse naître à terme.
En gros, une grossesse à risques.
Une naissance médicalisée, des mois de traitement pour gommer les suites de cette difficile grossesse, des hospitalisations, des rendez-vous médicaux qui s’enchaînent,…. Drôle de début de vie pour un si petit être…
Maintenant qu’elle est en pleine forme, cela me ferait presque sourire la « grossesse à risque ».
Si j’avais pu imaginer un seul instant, à ce moment-là, que nous vivions la partie la plus simple de notre mission parentale.

Mon petit bonhomme a 12 ans.
Je le nomme toujours ainsi ; il a oublié de grandir.
Une grossesse sans problème, la pleine forme, le rêve de toute femme enceinte.
Là, c’était bon.
Là, c’était serein.
Les soucis connus jusqu’ici étaient derrière nous.
Nous avions une bonne situation, deux enfants en pleine forme…
Un accouchement dit « compliqué » pour petit bonhomme : une césarienne en urgence.
Le protocole était connu, nous avions vécu la même chose pour sa sœur… Pas d’inquiétudes particulières

Cela a commencé avec l’allaitement : compliqué.
Il ne voulait pas téter.
« Il faut le stimuler » me disait dit la sage-femme.
« Chatouiller lui le nez, les oreilles. »
La blague !
Petit bonhomme n’est pas agressif, mais ne tentez surtout pas, encore maintenant, d’aller lui toucher ces parties du corps : réaction explosive assurée !

À deux jours de vie, une hypotonie massive est repérée.
Petit bonhomme est un bébé « poupée de chiffon ».
Et là, avec son père, nous entendons le premier : «  ne vous inquiétez pas, c’est normal !».
Le premier d’une longue série…
Il y a eu tellement de remarques de ce genre : « c’est normal, ne vous inquiétez pas, il est juste un peu lent », « mais non, vous voyez le handicap partout, c’est normal à cause de votre métier ». C’est bien connu, les psychomotriciens voient le mal partout.
Pire, ils voient le handicap partout.
Un retard psychomoteur.
Des troubles du tonus.
Des troubles du sommeil.
Des troubles alimentaires
L’apparition de stéréotypies.
Normal selon les spécialistes.
Un bébé que tout le monde appréhendait de prendre dans les bras.
Un bébé qui se jetait en arrière dès que son regard croisait le vôtre.
Toujours normal selon les… spécialistes ?

Ni mon expérience de maman, ni mes trois ans de formation, ni mon expérience professionnelle ne m’ont épargnée ce bonheur d’entendre les médecins chercher à tout dédramatiser, à nier tous les problèmes de notre enfant.
Et non, même là la baguette magique ne fonctionnait pas.
Impossible de leur faire ouvrir les yeux à ces grands docteurs.
En revanche, je repartais avec toutes les coordonnées des psychologues du secteur.
« Faîtes vous suivre Madame ! C’est important pour votre enfant ! ».

Et enfin, un jour, le début du suivi pour lui.
Du moins c’est ce que l’on croyait.
« Vous allez rencontrer notre orthophoniste en famille puisque votre enfant est encore petit. »
Un orthophoniste : c’est pour le langage.
Nous nous imaginions, à l’aube de ses 3 ans, trouver enfin comment communiquer avec notre enfant.
Que nenni ! Rien à voir avec de l’orthophonie, nous voilà en séances de thérapie familiale ! Pour « faire du lien ».
Qu’est-ce qu’il a pu en user des rouleaux de scotch mon petit bonhomme pour faire du lien !
Le thérapeute était ravi de son investissement.
(Nous savons maintenant que cet intérêt pour le scotch était purement sensoriel. Sa brillance, son bruit… quelles sensations le scotch !)

Je vous épargne toutes les errances que la plupart des parents connaissent.
Les suivis inefficaces,…
On ne va pas trop taper sur les professionnels, ils ne savaient pas.
Je peux le dire en connaissance de causes parce qu’avant, je faisais pareil.
Et j’étais sûre de bien faire !
Le comportementalisme, très peu pour moi.
Il y a encore quelques années, à chaque fois que l’on me parlait d’ABA(2), je répondais : « mon fils n’est pas et ne sera jamais un chien ».
Comme beaucoup, ce que j’avais pu entendre, ou plutôt ce que j’avais appris de cette méthode me faisait penser à du dressage.

Je ne suis pas non plus devenue une pratiquante intensive de l’ABA, mais nous avons tellement appris à l’aide des méthodes comportementalistes…
Par exemple, j’ai appris comment apprendre (oui je sais, je me répète, mais j’ai beaucoup appris je vous dis !) à petit bonhomme à s’habiller seul le matin, manger de façon autonome, se repérer dans le temps, dans les différents espaces de son quotidien…
A l’école et en périscolaire, il a pu entrer dans les apprentissages.
Faire du piano.
Du cirque.
Du cheval.
Il apprend à lire et écrit à l’aide de son ordinateur.
Additionne.
Soustrait.
Multiplie.
Et pourtant, c’est un « autiste sévère ».

Et surtout, plus de troubles du comportement.
Et pour cause, nous pouvons communiquer avec lui et lui avec nous. Il peut nous faire part de ses frustrations, de ses incompréhensions, de son besoin insistant de savoir ce qu’il va y avoir après.

Notre maison fourmille de « pictos »(3), de « séquentiels »(4).
Des panneaux sont accrochés partout avec les repères dont il a besoin. C’est bien, c’est une déco que l’on ne trouve pas partout.

En parlant déco, nous avons appris à regarder autour de nous, à écouter les bruits de la maison, de notre environnement.
Pourquoi ?
Parce qu’une fois que les changements deviennent prévisibles, une fois que l’on parvient à s’exprimer, qu’est ce qui pose toujours souci : les particularités sensorielles.
Quel autre parent que celui d’un enfant TSA choisit son supermarché en fonction de la puissance des néons, du fait qu’il ne modifie pas les rayonnages tous les 15 jours, ou de l’odeur desdits rayons !
Quand il est possible d’aller au supermarché bien sûr…
Mais aussi, quand il n’y pas trop de monde, quand lui ne sera pas trop perturbé par la foule, ou parce que nous, parents, risquerons moins d’entendre quelques remarques désagréables.
« Avec un enfant aussi caractériel, on ne vient pas dans un supermarché. »
« Vous pourriez l’éduquer quand même ! ».

Et quand on ose enfin sortir, à passer outre le regard des autres, qu’est-ce que l’on surveille ?
Son enfant bien sûr mais aussi son petit objet, son doudou diraient certains.
Et oui, même à 12 ans, je surveille toujours l’objet choisi de la balade du jour.
Sauf que là, cet objet est certes rassurant, mais il permet surtout dans le cas de certaines particularités sensorielles de maintenir un niveau d’acceptation de l’environnement.
A l’aide de l’objet, petit bonhomme peut stimuler sa vue, son audition. Il peut le faire vibrer en le secouant.
Et quel drame en cas de perte…
En général, on peut tenir une heure comme ça. Ensuite merci le smartphone, ses jeux, You Tube et ses dessins animés favoris, le casque anti-bruit, les lunettes de soleil,…
Une heure, ça va paraître peu pour certains mais pour lui, pour nous, c’est énorme.
Faire des courses, se promener, manger à l’extérieur, aller au cinéma, à la piscine,…
Promis, on ne l’a pas enfermé dans le casier de la piscine, il s’y est mis tout seul !
Mais on ne sait pas encore si on va l’en sortir.
Et puis qu’est-ce qu’il y est heureux dans ce casier !

Avoir les mêmes activités qu’une famille normale, vivre comme tout le monde.
Nous n’osions l’envisager.

Quelques fois, il y des couacs. Et oui, même lorsqu’on est rodé à l’exercice, on fatigue, on râle, on répète, alors que l’on sait que cela ne sert à rien de l’appeler lorsqu’il est à l’étage, de l’empêcher de sortir parce qu’il y a une tondeuse dehors ou un trou à creuser.
Pourquoi s’énerver à râler pour le faire descendre alors que sonner à la porte va le faire venir comme par magie.
Quel bonheur pour lui que ce petit bruit de sonnette qui, moi, m’insupporte.
Je lui répète souvent que l’on ne vit peut-être pas dans le même monde mais que nous vivons dans la même maison, il va donc falloir s’entendre !

Vivre avec un enfant TSA, c’est ça.
C’est œuvrer tous les jours,
Pour son bien-être, alors qu’il ne sait pas dire qu’il a faim, qu’il a froid ou qu’il a mal.
Pour sa sécurité, je déteste la période des tracteurs et des tondeuses, quand il sort de la maison dans le plus grand silence.
Pour le faire progresser, ça serait tellement plus simple s’il apprenait comme les autres…
Pour qu’il soit autonome, maintenant et à l’avenir.
Vivre avec un enfant TSA, c’est aussi vivre dans un autre monde avec certes beaucoup de fatigue et de colère, de dossiers en tous genres, un nombre incalculable de rendez-vous, de temps à répéter son histoire.
En bref, une perte totale d’intimité.

Mais c’est aussi apprendre à regarder le monde autrement, à s’étonner de sa propre perception des choses.
Si tout était aussi simple que dans ses yeux…

S.J. Psychomotricienne D.E.

 

Juste pour finir, une lecture pour ceux que cela intéresse, ce texte est accroché au-dessus de mon bureau depuis des années maintenant :

https://www.bloghoptoys.fr/bienvenue-en-hollande

J’espère que cette lecture vous parlera autant qu’à moi il y a quelques années…

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Notes :
(1) Trouble du Spectre Autistique Critères Diagnostics du DSM V et Évolutions des classifications depuis 1980 (retour au texte 1)

(2) L’A.B.A. (Applied Behavioral Analysis, ou analyse appliquée du comportement) est une approche éducative inspirée du béhaviorisme et créée par Ivar Lovaas aux États-Unis dans les années 1960. Elle consiste en une analyse du comportement, associée à une intervention intensive visant à obtenir la meilleure intégration dans la société par l’augmentation des comportements jugés adaptés, et la diminution des comportements jugés inadaptés.
Pour qu’un programme A.B.A. soit efficace, ses promoteurs donnent les deux conditions suivantes. D’abord, il doit être intensif, à raison de trente à quarante heures par semaine. Ensuite, il doit être mené par une équipe éducative (dont les parents sont partie intégrante) formée et intervenant de la même façon, dans le cadre d’un programme individualisé bien défini. De plus, le pronostic est d’autant meilleur que le programme A.B.A. est commencé tôt (retour au texte 2)

(3) Un pictogramme est une image/photo/dessin qui permet de symboliser un objet, une personne, une action. Il permet à nos enfants, qui ne savent pas encore lire, de comprendre leur environnement grâce au visuel mais aussi à communiquer grâce au P.E.C.S. Le P.E.C.S. est un Système de Communication par Echange d’Images (PECS) (retour au texte 3)

(4) support visuel utilisé afin de détailler toutes les actions pour parvenir au but, par exemple pour s’habiller : culotte, chaussettes, pantalon, t-shirt puis le pull et enfin les chaussons (retour au texte 4)

 

2 Commentaires

  1. … Merci chère collègue pour votre témoignage. Votre parole est précieuse pour les professionnels qui craignent le « conditionnement » Ne sommes-nous pas conditionnés nous, qui avons appris les tables de multiplication et les poesies jusqu’à la nausée, avec nos agendas et nos smartphones et nos journées surchargées d’impératifs répétitifs et… Etc. Je travaille avec des enfants et adultes autistes et j’utilise les méthodes d’apprentissage et d’adaptation de l’environnement spatial, temporel, sensoriel et les casques antibruit et les profils sensoriels… Etc. Je vous souhaite plein de courage et plein de bonheurs. Bien cordialement. Marite

  2. Tout cela est très intéressant, mais lorsqu’on est pas diagnostiqué autiste et qu’on pense avoir une forme légère d’autisme a l’âge adulte en France, on a vraiment l’impression d’être passé à côté de quelque chose, et je crois qu’ils ont le même problème en Belgique

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